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Quand le FLE manifeste

Valoriser le métier de prof de FLE et rendre accessibles les formations linguistiques. Entretien avec Elsa AïCH et photos prises lors de la manifestation du Collectif FLE

Entretien avec Elsa AïCH du collectif FLE, fondatrice de l’association À voix haute.

Bonjour Elsa, pourriez-vous vous présenter ?


Je suis formatrice de Français langue étrangère depuis presque 13 ans maintenant. J’ai validé mon Master 2 de FLE après une année de stage à Hongkong, où j’intervenais auprès d’enfants et adolescents dans une grande école locale chinoise. Même si je ne regrette absolument pas cette expérience, les difficultés que j’ai pu rencontrer pour m’intégrer et travailler dans un pays dont je ne maitrisais pas ou très peu les codes, et surtout la langue, m’ont poussée, à mon retour en France, à me tourner avec conviction et détermination, vers l’enseignement du français auprès des personnes primo-arrivantes.
J’ai ainsi travaillé pendant de nombreuses années en organisme de formation sur les dispositifs linguistiques de l’OFII. J’y ai appris beaucoup professionnellement, et j’y ai fait mes armes, mais je me suis assez vite rendu compte des limites de ces dispositifs : hétérogénéité des groupes, entrées et sorties permanentes, rythme intensif, peu de temps de préparation pédagogique, cahier des charges peu adapté aux besoins langagiers des apprenant(e)s, conditions d’accès à la formation, sans parler du salaire ! Après presque 10 ans, je gagnais toujours à peine plus que le SMIC.


Ce que j’observais, c’était surtout que ces personnes arrivaient en formation après parfois 12 ou 18 mois de présence en France, le temps d’obtenir leur statut de réfugié ou leur titre de séjour. Je trouvais absurde le fait qu’iels n’aient pas pu bénéficier de cours de français avant si iels en avaient eu le désir.


En 2017, proche du burn-out, je saute le pas, et décide de co-fonder avec Laetitia Brisard l’association « A Voix Haute », une association nichée au cœur de Belsunce, à Marseille. Il était important pour nous de pouvoir proposer des formations gratuites et accessibles à toutes et tous, quelle que soit la situation administrative des personnes et où qu’iels en soient de leur parcours migratoire. Trop souvent, les cours de français langue étrangère sont des usines où les apprenant(e)s sont peu considéré.es dans leurs besoins linguistiques, or il est tellement plus pertinent de s’appuyer sur leur quotidien, sur ce qu’iels peuvent lire ou entendre dans leur vie de tous les jours. Nous co-construisons les séances avec les apprenant(e)s, et ce sont elleux qui choisissent les thématiques abordées en classe d’une période à l’autre. C’est une façon de ne pas tomber dans le piège de penser « pour elleux » et « sans elleux ».
Lorsque l’on décide de monter sa propre structure, il faut savoir que cela demande beaucoup beaucoup de temps, mais je peux dire que cela m’a énormément appris professionnellement, et j’ai développé de nombreuses compétences qui m’étaient jusqu’alors totalement confisquées : recherche et demande de financements, écriture et bilan de projets, travail de partenariats, de mise en lien avec les différents partenaires du territoire. Tout cela nous échappe lorsque l’on travaille comme formateur.trice dans un plus gros organisme! On s’occupe de notre groupe-classe, sans trop avoir son mot à dire sur l’intérêt de telle ou telle action pour les apprenant(e)s et c’est vraiment dommage car il y a une vraie pertinence à suivre le montage d’un projet, des prémices jusqu’à sa mise en œuvre.


Bref, pour résumer, j’exerce aujourd’hui dans des conditions privilégiées, et au plus près des besoins des apprenant(e)s à qui se destinent les actions de formation. Je trouve du sens à mon métier et mes valeurs sont au cœur de ma démarche professionnelle, et cela n’a pas de prix.

Quels sont les constats concernant le salariat dans le FLE ?

Je m’estime très chanceuse d’être là où je suis et de travailler en accord avec mes convictions personnelles. Beaucoup n’ont pas ce luxe. Je croise tous les jours des formateur.trices qui témoignent d’une réelle souffrance au travail.

Dans le privé, peu sont celleux qui sont embauché.es en CDI. La norme est le contrat court, et l’impression d’être un pion que l’on positionne indifféremment sur tel ou tel dispositif linguistique, avec un nombre d’heures de face à face conséquent et souvent peu de ressources pédagogiques à disposition pour mener à bien sa mission. Les tâches administratives se font souvent au détriment de la qualité des cours que les formateur.trices n’ont pas le temps de correctement préparer. Les salaires, selon moi, oscillent entre 1200 et 1400 euros, généralement, malgré un bac+5, exigé par certains marchés publics. Ces situations d’emploi contribuent à la précarisation de la profession. La peur de perdre son poste pousse parfois à accepter des conditions de travail ahurissantes et à ne pas réclamer les minimas conventionnels auxquels iels ont pourtant droit.


Dans le public, les postes en UPE2A sont accessibles aux diplômé.es de FLE mais sans pouvoir devenir fonctionnaire puisqu’il n’existe aujourd’hui aucun CAPES dans ce domaine. Des professeurs contractuels, en place depuis parfois plusieurs années, se voient ainsi remplacé.es par des enseignants certifiés d’autres matières avec des rémunérations supérieures.


Nous voyons souvent arriver au collectif FLE, des formateur.trices passionné.es à qui on ne donne pas suffisamment de moyens, qui travaillent chez eux le soir, le weekend pour préparer leur classe, en plus de leur semaine, et qui s’épuisent, mais s’accrochent.

Vous faites partie d’un collectif d’enseignants du FLE, que revendique-t-il ?

Le collectif FLE est un collectif constitué de personnes qui souhaitent réfléchir sur leur métier et les politiques publiques aujourd’hui, dans le but de faire évoluer leurs pratiques, leurs statuts et conditions de travail, et de pouvoir assurer une formation de qualité aux migrants.

  • Une de nos revendications les plus fortes est de rendre les formations linguistiques accessibles à tous et toutes sans condition. Actuellement, les financements publics des formations sont conditionnés à des statuts administratifs particuliers (avoir un titre de séjour, être en France depuis moins de 5 ans, venir d’un pays hors UE, être inscrit à pôle emploi…). Le collectif revendique le fait de proposer aux personnes, des formations en fonction de leurs besoins linguistiques, et non de leur situation administrative. En effet, trop de personnes se retrouvent aujourd’hui, exclues de ces formations, parfois pendant des années, car les petites associations ne peuvent répondre à toutes ces demandes. Puis, une fois qu’iels ont obtenu leur titre de séjour, la formation linguistique devient alors une injonction…
    C’est dans ce cadre que nous avons par exemple organisé plusieurs cours géants dans la rue pour donner de la visibilité aux cours de FLE et aux besoins des personnes en matière d’apprentissage de la langue française. A Marseille, faute de pouvoir intégrer les dispositifs de formations linguistiques, les listes d’attente auprès de plus petites structures ne désemplissent pas ! Nous avons par exemple participé à la mobilisation nationale du « français pour tous », et exprimé nos v(o)eux en janvier dernier dans la rue, pour alerter les pouvoirs publics sur cette problématique. En effet, le manque de cours de français inscrit de fait les personnes dans une précarité linguistique : l’accès rendu difficile à l’emploi faute d’un niveau de langue suffisamment solide, le maintien dans une forme d’invisibilité et de non-inclusion sociale, faute d’outils linguistiques pour faire valoir ses idées, exprimer son avis, communiquer et créer la rencontre. Ouvrons les classes à toutes et tous ! L’accès à la langue devrait être un droit fondamental et permettre à chacun de pouvoir communiquer en français de manière suffisamment autonome dans sa vie et dans ses démarches du quotidien.
  • Une autre revendication est la valorisation du métier de formateur.trice qui manque considérablement de (re)connaissance. Nous souhaitons lutter contre la précarisation de la profession en informant les personnes de leurs droits, notamment au regard des différentes conventions collectives et en dénonçant les offres d’emploi abusives. Il faut savoir qu’aucun syndicat des formateur.trices FLE existe aujourd’hui ce qui ne facilite pas la défense de la profession et de ses bénéficiaires. Or, précariser les formateurs•trices c’est aussi précariser les apprenant(e)s. Rendre la profession peu attractive du fait de ses conditions de travail et de rémunération, conduira sans doute à encore moins de formations de qualité.
  • Enfin, nous souhaitons généraliser les offres linguistiques de qualité pour les apprenant(e)s justement, qui soient réellement adaptées à leurs besoins langagiers et favoriser les contextes d’apprentissage sereins et respectueux.
    Intégrer un collectif de formateur.trices de FLE est aujourd’hui un des rares moyens de se mettre en contact avec d’autres personnes faisant le même métier, et vivant les mêmes difficultés. En effet, c’est une profession qui peut rapidement isoler, et le collectif permet donc cette mise en réseau, incluant des échanges de compétences et d’expériences indispensables. Cela permet de maintenir une veille sur les évolutions de nos statuts, sur l’actualité, de se maintenir informé et actif.

Comment faire pour vous contacter et en savoir plus sur le collectif ?


Aujourd’hui, le collectif a une page Facebook sur laquelle nous publions généralement les dates de réunion et les appels à mobilisation.
https://fr-fr.facebook.com/collectifflemarseille/

Il existe aussi un site internet sur lequel on peut trouver différents articles qui tentent d’apporter un éclairage sur les politiques linguistiques actuelles (niveau de langue pour l’accès au titre de séjour, à la naturalisation, etc..) et sur les conditions de travail des formateur.trices en France (convention collective, offres d’embauche abusives..).
http://collectif-fle-marseille.over-blog.com

Enfin, une adresse email pour toute question ou proposition.
collectifflesudest.marseille@gmail.com

J’ajoute que la gestion du collectif est par définition “collective” et que nous y consacrons le temps que nous pouvons et qui nous reste une fois notre travail fini. Parfois, il peut se passer quelques semaines sans beaucoup d’actualités. Cela dépend des emplois du temps de chacun.e, mais un de nos souhaits est de le voir grandir et vivre davantage alors avis aux motivé.es ! Rejoignez-nous !

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