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FLE/FLI. Enseigner le français en Guyane

Formation des migrants, richesse culturelle et projets à développer : en route pour la Guyane ! Entretien avec Cécile Pichon.

Bonjour Cécile, quel est ton parcours ?

J’ai commencé mes études comme beaucoup d’étudiants sans savoir vraiment ce que je voulais faire. J’ai donc commencé par une licence puis une maîtrise d’Histoire. La dernière année, j’ai participé au programme Erasmus en Espagne. C’est là que j’ai pu apprendre l’espagnol en immersion et que je me suis découvert une passion pour l’apprentissage des langues étrangères. De retour en France, j’ai obtenu une validation d’acquis pour rentrer directement en dernière année de licence LLCE d’Espagnol option FLE. J’ai continué par un master I à Paris 3. Par la suite, je voulais repartir à l’étranger et j’ai participé au programme d’assistant de langue en Colombie. Parallèlement à cela, j’ai validé mon master II à distance.
A la fin de cette période, j’ai voulu rester dans le monde hispanophone et je suis partie à Madrid, là j’ai enseigné le FLE dans une école privée à un public adulte de professionnels travaillant dans des entreprises multinationales. A la fin de mon contrat, je souhaitais pouvoir repartir à l’étranger mais sans trop souffrir des conditions bien souvent précaires de certains emplois FLE proposés en contrat local.

Pourquoi as-tu choisi la Guyane ?

La Guyane s’est offerte à moi tout à fait par hasard. Je cherchais du travail sur toute la France sur le site de pôle emploi.fr. J’ai postulé pour une offre, l’idée de retourner sur le continent sud-américain m’a plu, je suis partie sans trop savoir où j’allais. J’ai été engagé comme formatrice FLE/FLI, dans un organisme de formation privé, détenteur du marché de l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration). C’est là que j’ai commencé à travailler avec un public migrant adulte dans le cadre des formations linguistiques de 400h prévues par le CAI (Contrat d’Accueil et d’Intégration).
(Pour plus d’infos, il est possible de consulter directement le site internet de l’OFII )
Après un an, je suis devenue référente pédagogique de ces mêmes formations et ma mission était de redynamiser l’enseignement du FLE / FLI ainsi que d’encadrer l’équipe des formateurs.

Quelles sont les spécificités de l’enseignement du français en Guyane ?

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La Guyane est un département français, qui a de par son territoire, son histoire et les vagues de migrations successives une grande richesse multiculturelle. La plupart des habitants de ce département sont bilingues quand ils ne sont pas plurilingues, on parle de locuteurs pouvant interagir parfois dans plus de sept langues différentes. La Guyane est riche en diversité. On y trouve des Haïtiens, des Surinamiens, des Brésiliens, des Péruviens, des Colombiens, des Chinois, sans compter les communautés qui vivent sur les fleuves : les Bushinengué, les Boni, les Saramacca, etc…ainsi que les différentes tribus amérindiennes (Kali’na, Palikur, Emerillons, etc…), qui ne sont pas toujours entièrement francophones.

Comment se fait l’apprentissage du français ?

L’apprentissage du français oral et/ou du créole se fait en immersion. Mais la Guyane a un territoire particulier (plus de 90% est recouvert de forêt équatoriale). Il est donc parfois difficile d’accéder à certaines zones.
Dans ce contexte, un nombre important de migrants arrive chaque jour en Guyane. Ces migrants ont très souvent eu des parcours scolaires difficiles voire inexistants. Sur les personnes que nous recevons en centre de formation : 60% ont peu ou pas du tout été scolarisées et le taux d’analphabétisme dépasse les 40%. N’ayant jamais fréquenté les bancs de l’école, beaucoup d’entre eux manquent donc de savoirs-apprendre. D’autre part, ce contexte particulier a des incidences sur l’apprentissage du français oral. Il n’est pas forcément nécessaire de parler français pour vivre au quotidien en Guyane, à l’exception faite des services administratifs. Certaines personnes que nous recevons vivent depuis plusieurs années en Guyane et parlent très bien le créole. D’autres comprennent le portugais, l’anglais ou le sranan-tongo (créole surinamais). Ces personnes sont donc « intégrées » sans pour autant parler français.
Enfin, le chômage joue également son rôle. Une personne sans emploi, sera moins motivée à apprendre le français qu’une personne se retrouvant dans une équipe de professionnels entièrement francophones. Je pense notamment aux femmes au foyer. L’insertion professionnelle de ces personnes va jouer sur leur insertion sociale et avoir des incidences sur l’apprentissage de la langue.

Quel est l’impact sur les formateurs ?

Il en résulte une situation particulière pour nous autres formateurs. Les formations dispensées sont des formations que l’on désigne désormais par le terme de « Français Langue d’Intégration (FLI) » (ce terme est arrivé en 2011). Les thèmes et situations de communications enseignés doivent partir des besoins concrets et correspondre à la vie quotidienne des migrants. Inscrire son enfant à l’école, aller faire ses courses, indiquer un problème de santé à son médecin, sont autant d’exemples de scénarios pédagogiques que nous étudions en formation. Le stagiaire termine ses 400h en passant le DILF : diplôme initial de langue française, de niveau A1.1.
Cette formation FLI est à dominante orale, mais l’écrit y tient tout de même une place, même s’il ne sera pas question d’alphabétiser complètement les stagiaires, faute de temps. Le DILF comportant des exercices écrits, un long travail de répétition, de systématisation doit donc être fait avec les stagiaires en situation d’analphabétisme et/ou d’illettrisme pour leur permettre de réussir l’examen. Il faut donc insister sur les consignes et travailler énormément sur la sémiotique de l’image, par exemple, un dessin d’un facteur, représentera plutôt un policier pour certains stagiaires, etc… De plus, le DILF étant national, il est le même pour toute la France. Certains exercices ne sont pas adaptés au contexte guyanais. Je peux citer notamment dans la partie réception orale « comprendre une annonce publique », les images représentant le métro sont totalement vides de sens pour certains migrants.

Quels sont les supports utilisés ?

Il existe très peu de supports qui soient vraiment adaptés. Je peux citer les méthodes d’apprentissage du FLE pour migrants mais comme toutes méthodes elles ne sont pas à suivre telle quelle. Il en existe plusieurs : Trait d’union, Bagages, Rendez-vous en France, etc…
En Guyane, certaines ressources ont été créées dans le cadre du PREFOB, le Programme régional d’éducation et de formation de base, et ont été énormément partagés dans toute la région.
Il existe également une méthode d’apprentissage de la lecture et de l’écriture pour adultes, créée en Guyane, qui est pratique car elle correspond vraiment à la réalité guyanaise (Bouchery C., Desmangles G., Méthode Léa, Lire et Ecrire en atelier, Ibis rouge éditions, 2004).
La plupart du temps, nous travaillons avec des documents authentiques que nous récoltons dans les administrations, dans les centres de prévention, sur internet ou encore avec des documents que les stagiaires auront ramenés en cours. Nous utilisons aussi bien des emballages pour travailler les dates de péremption ou la posologie d’un médicament par exemple, que des formulaires officiels de type Cerfa.

Vois-tu des projets à développer pour l’enseignement du français dans les DOM TOM ?

cécile pichon

Un projet de manuel FLI, intégrant les spécificités des DOM-TOM, avait été abordé en partenariat avec d’autres organismes de formation d’outre-mer, mais je ne sais pas s’il a abouti.
Il faudrait sans doute dans un premier temps très certainement professionnaliser le secteur, les nouvelles formations FLI pour formateurs, devraient pouvoir y contribuer. Développer des supports, créer des banques de données, par région, faciliterait également le travail des formateurs. Pour certains migrants qui arrivent en formation, en ayant déjà développé une interlangue après des années en Guyane, la formation linguistique permet de les faire aller plus loin que le DILF.
Des projets TICE également, sont à privilégier : l’utilisation des ordinateurs et de l’internet est indispensable, de nombreuses administrations ont leur site internet. Pôle emploi, par exemple, demande aux demandeurs d’emploi d’actualiser leur situation via leur compte sur le site internet. Même si cela peut paraître trop difficile pour des personnes analphabètes, il n’est pas impossible de développer des projets où leur participation sera limitée mais où ils pourront acquérir quelques bases d’informatique. Nous avons d’ailleurs, tenté l’expérience du blog d’apprenant, l’année dernière.
Enfin, il faudrait utiliser le plurilinguisme de nos stagiaires (environ une trentaine de langues présentes en Guyane !) et ne pas hésiter à s’en servir au sein même de nos formations.

Contact Cécile Pichon : cecile.pichon@live.fr

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