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Auto-entrepreneuriat dans le FLE. Se constituer un réseau d’élèves pour s’éloigner des situations de sous-traitance

Article de la revue Le français dans le monde rédigé par Sophie Patois, publié sur le site du Café du FLE dans le cadre d’un partenariat.

FLE et auto-entrepreneuriat : vers une ubérisation du métier ?

Selon un rapport de l’Insee de février dernier, la France a connu un record de créations d’entreprises en 2020 et cela, malgré la crise sanitaire. Un chiffre dopé sans surprise par le «boum» des micro-entreprises, en particulier dans le commerce (+ 9 %). Une tendance qui ne reflète pourtant pas la réalité dans le domaine de l’enseignement où, d’après la même source, on a observé au contraire une baisse de – 8 %! Sans être inessentiel, l’enseignement, notamment dans la formation pour adultes, a connu il est vrai un temps de latence…

« En tant qu’indépendant, confie Julien Chizallet, enseignant de FLE depuis 2013, j’avais tendance à dire que je tirais bien mon épingle du jeu. Mais peu avant la Covid, j’ai perdu une partie de mon travail avec une entreprise qui elle-même travaillait avec la Corée et a sans doute anticipé une perte d’activité. Cela correspondait à un tiers environ de mes revenus et cela a commencé à m’inquiéter. Au bout de trois mois, j’ai réalisé que je n’aurai plus ce client pour un bon moment. Je me suis bougé pour trouver d’autres prestations et là est arrivé le confinement qui a entraîné la suppression des cours en entreprise. »

Un « cas d’école » qui n’est pas lié à la seule pandémie selon l’intéressé. En effet, en étudiant lui-même les conditions économiques de l’auto-entrepreneur de FLE dans le cadre de son Master 2 en ingénierie de la formation, Julien Chizallet a pu mener une enquête auprès de ses pairs. « J’ai observé, remarque-t-il, que quels que soient le niveau de formation du professeur de FLE et son expérience, on retrouve systématiquement une forte exposition aux aléas, peu de stabilité dans l’emploi, des revenus à géométrie variable, qui montent et qui descendent, et un sentiment de forte précarité du fait de ne pas avoir une vision très claire de la suite. À l’échelle internationale ou nationale, on est toujours dans un système où les contrats sont très courts, les temps partiels sont légion. Cela rend difficile toute évolution ou ne serait-ce qu’une stabilisation. D’une flexibilité qui au début peut être amusante, quand on aime bien l’aventure, on se retrouve à l’impossibilité d’accéder à un crédit, trouver un appartement, ou tout simplement ne pas stresser le week-end!»

Une situation plus subie que choisie

Être son propre patron permet pourtant, en principe, une gestion du temps plus souple. Si l’on se débrouille bien et à condition de générer suffisamment de revenus…

Line, titulaire d’un Master 2 de didactique du FLE, enseigne depuis 2013 et dénonce pour sa part une situation imposée. « Je suis auto-entrepreneuse depuis 2015. Si aujourd’hui je partage mon temps de travail entre plusieurs grandes écoles ce n’est absolument pas par choix, je préférerais largement avoir un contrat qui me donne accès à certains droits comme le chômage ou un congé maternité digne de ce nom avec la certitude de retrouver mon poste. Malheureusement, ce statut nous est imposé par les écoles qui préfèrent ainsi garder une réserve de professeurs corvéables à merci, à qui on impose ou retire des cours, de la veille pour le lendemain. Notre sort est suspendu au bon vouloir de responsables qui, s’ils nous prennent en grippe ou veulent favoriser quelqu’un d’autre, peuvent nous enlever notre moyen de subsistance. Pour être juste, je dois dire que je n’ai jamais été confrontée à ce problème et que, depuis 3 ans, je vis bien, avec un nombre de cours suffisant. Mais l’angoisse revient tous les 6 mois: cela va-t-il continuer ? »

L’indépendance selon la loi

Choisir son temps de travail, fixer son tarif horaire, concevoir et appliquer sa méthode (pédagogique pour un professeur…), bref, ne pas être dans un rapport de subordination avec le client qui fait appel à vos services mais  être lié par un contrat de prestation, tels sont les principaux critères qui définissent le statut d’indépendant aux yeux de la loi. Face aux abus manifestes, une jurisprudence existe et des requalifications en salariat peuvent être exigées. Pour l’Urssaf, qui a édité une plaquette à ce sujet, « c’est le lien de subordination juridique qui représente le critère principal permettant de déterminer s’il doit y avoir affiliation au régime général des salariés. »

Vraie-fausse indépendance

Car c’est bien là le paradoxe, pour ne pas dire la malice du système. Tout du moins quand l’indépendance affichée ne sert qu’à masquer ce qui s’apparente presque à un salariat déguisé. Une dérive que l’on qualifie désormais d’«ubérisation », par analogie à des méthodes employées par la plateforme Uber. « Aujourd’hui, l’outil “auto entrepreneuriat” fonctionne à plein tube, souligne Julien Chillazet. Le statut d’auto-entrepreneur est venu se substituer à d’autres formes de montages juridiques au niveau du droit du travail pour employer des personnes pour quelques heures et pour pas cher parce que c’est le seul budget que l’on a. » L’offre de service du prof de FLE auto-entrepreneur n’échappe pas à la règle du « C’est à prendre ou à laisser » de plus en plus dominante… « Nous facturons à l’heure, précise Line. À un taux imposé par les écoles ! Imaginerait-on un entrepreneur dans le bâtiment établir un devis qui serait dicté par son client ? Et comme vous le savez, 1 heure de cours = 1 heure de préparation pour laquelle nous ne touchons rien. On nous impose aussi des réunions qui ne sont absolument pas rémunérées, la création et la correction d’examen, la conduite de tests de placement, autant de missions qui incombent à un professeur en CDD ou CDI, avec une fiche de poste qui définit clairement ses obligations. Les écoles misent donc sur la conscience professionnelle des profs qui facturent pour faire des économies en ne rémunérant pas les tâches annexes à une charge de cours. Par exemple, dans une des écoles où je travaille depuis 4 ans, je suis considérée comme une salariée : je dois participer à la création de contenus et donc aux réunions qui en découlent. Je dois créer des examens, les corriger et je suis même soumise à un entretien annuel avec mon supérieur ! Cela n’a aucun sens. Je cumule les désavantages du salariat et de l’auto-entreprenariat sans en voir les avantages! »

Le prof de FLE est systématiquement confronté à « une forte exposition aux aléas, peu de stabilité dans l’emploi, des revenus à géométrie variable et un sentiment de forte précarité »

Miser sur l’authentique et la spécialisation

Des professeurs de FLE qui choisissent délibérément la micro-entreprise et en vivent correctement il y en a pourtant. À condition de bien lancer sa « petite entreprise » ! Corentin Biette, fondateur du Café du FLE, remarque qu’il y a souvent confusion entre ce qu’il définit comme « sous-traitance » et l’authentique auto-entrepreneuriat. « Si l’on veut vraiment devenir auto-entrepreneur, souligne-t-il, cela nécessite de la détermination et savoir que l’on troque la sécurité pour la liberté. Je pense que cela correspond à une mue psychologique. Il est indispensable selon moi de se constituer sa propre clientèle. Je recommande d’opter plutôt pour les cours collectifs en mini-groupe, avec six élèves par exemple. L’avantage, c’est de pouvoir assurer une qualité pédagogique à un tarif individuel raisonnable et c’est plus rentable pour le professeur. Il serait réducteur de penser que lorsqu’on est à son compte on ne peut que donner des cours particuliers! Une autre idée reçue que je combats est le positionnement en tant que “généraliste” pour obtenir le plus de clients. Je recommande, à l’inverse, la spécialisation, ce qu’on appelle aussi la “niche” en marketing. À vous de définir votre spécialité en fonction de vos goûts et compétences particulières. »

Autant dire que l’auto-entrepreneuriat, dans l’enseignement du FLE comme en d’autres matières, ne s’improvise pas et surtout requiert de multiplier les compétences (notamment en gestion et marketing…) pour se donner toutes les chances de réussir. « Si on n’a pas envie de passer du temps à se faire connaître, il vaut mieux être salarié, reconnaît Corentin Biette. Consacrer une journée par semaine à sa communication et à la partie administrative me paraît être la bonne solution. Ce n’est pas du temps perdu et comme vous êtes libre de choisir votre taux horaire, vous pouvez le faire. En publiant régulièrement des contenus sur les canaux de son choix, on va être reconnu comme un professeur ayant une expertise, une régularité, une légitimité. Par exemple réaliser une infolettre de conseils pédagogiques permet d’établir une relation durable avec son public. » Savoir conter et compter seraient-elles donc les conditions sine qua non pour devenir professeur de FLE à son compte?

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