Plickers, évaluer facilement avec le numérique en classe même lorsque les élèves n'ont pas de…
(Article publié dans le cadre du partenariat le français dans le monde / le Café du FLE. Par Jeanne Renaudin)
Le concept est simple : deux équipes s’affrontent sur une sorte de mini-patinoire de hockey. Un maître de cérémonie, d’un à trois arbitres, parfois un musicien, des thèmes à foison. Et le public bien sûr, qui vote pour les meilleures prestations et manifeste bruyamment. Bienvenue dans un match d’improvisation !
Le match d’improvisation nous vient du Québec, il parodie le très populaire hockey sur glace tout en brisant les codes habituels du théâtre souvent vu comme élitiste, mais pourquoi intéresse-t-il la classe de FLE ?
Revenons déjà sur le détail du match : il s’agit de faire s’affronter deux équipes autour de thèmes tirés au sort par les arbitres. À chaque étape du match, on tire une nouvelle carte, avec un nouveau thème, et on fait varier un certain nombre d’aspects : la durée de la représentation (souvent entre une et cinq minutes) ; le nombre de joueurs (il peut être libre ou imposé) ; la catégorie (ici encore, elle peut être libre ou imposer des conditions comme « sans paroles », « en rap », ou même « plurilingue »). Chaque thème peut également être traité de façon « mixte » – dans ce cas les équipes se mélangent dans une unique représentation – ou « comparée », ce qui suppose une succession de deux re- présentations, une par équipe. Une fois les différents éléments de l’improvisation énoncés par l’arbitre, chaque équipe a un temps très li- mité (habituellement 20 secondes), appelé le « caucus », pour établir un plan d’action avant de se lancer dans l’improvisation.
À la fin de chaque improvisation, le public vote pour l’équipe qui a réalisé la meilleure prestation. Il peut également manifester son mécontentement envers les équipes ou les arbitres en lançant des pantouf les ou des chaussettes sur la piste à tout moment. Au bout de trois manches et d’une heure trente de jeu, l’équipe ayant remporté le plus de points gagne le match .
Une adaptation pédagogique pourrait sembler aisée : on peut facilement imaginer d’adapter les cartes thématiques, le nombre de joueurs ou la catégorie (responsabilité des arbitres et du maître de cérémonie) pour se prêter au jeu des actes de paroles et situations travail- lés en classe. Ainsi, il est possible d’envisager des cartes sur le thème « mensonge au déjeuner » pour des apprenants adolescents et adultes de niveau A2 ou des possibilités plus complexes, comme présentées dans la carte « plaidoyer comique » pour les niveaux C. On adapterait également les temps de préparation (« caucus ») pour nous assurer que les équipes puissent échanger sur leurs stratégies en français sans toutefois se mettre à rédiger un dialogue. Les matchs pourraient alors se dérouler comme des projets, en fin d’unité ou de façon cyclique pour marquer un temps de jeu long entre les différentes unités didactiques. Cela semble presque simple, mais il convient de prendre garde à ne pas forcer la réalisation de ces matchs sans, auparavant, avoir très largement « préparé le terrain ». Avant tout, pour prétendre faire des matchs d’improvisation en classe, il faut habituer les apprenants aux techniques de dramatisation qu’ils utiliseront lors desdits matchs. Une double priorité doit nous guider : il s’agit d’une part de créer une communauté de confiance suffisamment soudée dans notre classe pour éviter le possible sentiment de honte des acteurs et pour s’assurer que le public saura exprimer son mécontentement de façon pertinente et respectueuse (dans le cadre du match). D’autre part, les techniques de dramatisation travaillées devront permettre d’améliorer significativement la qualité des représentations et d’éviter l’effet « jeux de rôles » propre aux simulations de l’ère communicative. Il est primordial que le but recherché soit le jeu théâtral plus que la communication correcte dans une situation donnée.
Pour instaurer des routines de dramatisation, de très nombreux jeux en classe peuvent être utilisés tels que le mime, les effets de miroir ou encore les exercices de projection de la voix.
Une fois l’éventail d’activités de dramatisation choisi selon les différents contextes d’intervention, il convient de ritualiser ces pratiques pour les rendre plus naturelles aux yeux des apprenants et assumer de façon progressive la prise de risque liée à la théâtralisation : pourquoi ne pas créer une routine hebdomadaire de jeux dramatiques très rapides à mettre en œuvre en cours (comme ceux présentés dans la fiche pédagogique) ou un atelier de théâtre en français pour aller plus loin ?
Une fois ces habitudes prises, l’organisation du match pourra commencer, dans le meilleur des cas, sous forme de projet collaboratif, où chaque apprenant aura son rôle à jouer tant dans la découverte du concept que dans l’organisation du match, et, bien sûr, dans sa représentation. Pour la réalisation du match, un atelier de deux heures serait idéal pour la mise en place, le spectacle en lui-même (une heure trente) et un retour commun sur l’expérience.
Dans ce projet, l’enseignant qui est, au début, un vrai guide des activités de dramatisation peut rapidement se mettre en retrait pour laisser les ap- prenants se reformuler, s’organiser, planifier et agir entre eux. Son rôle sera principalement de médier lors de situations d’éventuels blocages et de s’assurer que les apprenants ne perdent pas de vue l’objectif principal du match : « jouer à jouer » plus que représenter de simples saynètes de la vie quotidienne.
Les bénéfices de ce projet sont multiples, retenons-en deux : d’un côté, il permet de mettre en pratique, de façon presque spontanée, des actes de paroles travaillés pendant les sessions. Les fonctions analytique, exploratoire et expressive sont trois grands facteurs positifs de la mise en place de l’improvisation en classe : dans les deux premiers, les participants ont la possibilité d’analyser leurs sentiments et leurs opinions, de reconstruire leur cadre de référence et, ce faisant, d’élargir leurs connaissances schématiques. La fonction expressive s’observe, elle, lorsque les participants stimulent et développent leur capacité de communication, verbalement et non verbalement (en élaborant par là même de nombreuses stratégies d’apprentissage). Les échecs dits « de transfert » sont donc plus aisé- ment évitables grâce à cette mise en pratique plus libre et plus holistique, pour laquelle le centre d’attention des apprenants n’est pas nécessairement la seule compétence à communiquer langagièrement.
D’un autre côté, du point de vue pédagogique, ce match d’improvisation permet également de gérer de façon pertinente l’hétérogénéité de la classe (il facilite une réelle différenciation dans toutes les parties du cours en multipliant les possibilités de changement de rôles) tout en plaçant les apprenants au centre des interactions et en favorisant la mise en retrait de la figure de l’enseignant. Brian Way caractérisait, en 1967, dans son livre Development through drama, la dramatisation comme « simulacre pour la vie réelle », le match d’improvisation serait alors bien plus qu’une simulation, il serait le jeu-action rythmé, tantôt parodique tantôt sérieux, d’une vie réelle négociée entre apprenants.
La revue le français dans le monde propose une remise de 35 % sur ses abonnements aux lecteurs du Café du FLE