Entretien audio à l'Ambassade de France à Rabat avec Bertrand Commelin, (conseiller de coopération et…
“Nos cartes ne contiennent pas l’objectif pédagogique, elles sont à son service. L’objectif pédagogique se trouve dans les cartes de préparation de cours.
L’objectif de nos cartes est plutôt d’ordre thématique. On développe un sujet qui se trouve au centre.”
Entretien avec Marion Charreau et Thomas Zannoni.
Marion :
C’est un parcours motivé par l’envie de découvrir. J’ai effectué des études supérieures d’art à Poitiers, Limoges et Barcelone. J’y ai développé un travail interdisciplinaire et rhizomatique. En 2002, grâce à un professeur, j’ai découvert la carte heuristique. Et depuis je ne l’ai pas lâchée, tout comme mon goût pour l’apprentissage des langues d’ailleurs.
J’ai commencé à travailler dans le domaine de l’éducation à Barcelone en 2006 et j’ai donné mes premiers cours de français en 2007 à l’aide de la carte heuristique. Très vite je me suis rendue compte que j’aimerais enseigner l’outil. Je me suis donc formée à l’Ecole Française de l’Heuristique et j’ai réalisé un parcours de certification. Aujourd’hui je suis formatrice-consultante et responsable EFH en Espagne où je réside. Je délivre des formations certifiées EFH en français et en espagnol, notamment « Organisez vos idées avec la carte heuristique ».
Je continue également à donner des cours de FLE en entreprise. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré Thomas Zannoni. En 2010 nous nous sommes lancés dans la réalisation d’une « grammaire heuristique ». Aujourd’hui nous avons la chance de pouvoir présenter ce travail qui a bien évolué dans des séminaires FLE. Notre prochain objectif c’est de le publier.
Enfin ces derniers temps, le dessin me rattrape puisque j’ai eu la chance de réaliser les illustrations de deux livrets FLE sur le thème de l’interculturel en francophonie. Ils ont été co-écrit par Alix Creuzé, Norbert Kalfon et Jean- Christophe Hecquet. Le projet est soutenu par l’Institut Français de Madrid. C’est un travail original et inclassable et à la recherche d’un éditeur…
Thomas :
J’ai fait des études en langues et littératures anglaises et néerlandaises en Belgique dans l’idée de devenir prof de ces deux langues, j’y ai aussi obtenu un certificat d’aptitude pédagogique. J’ai travaillé pendant 6 mois dans un collège à Bruxelles après avoir terminé mes études : j’y ai donné des cours d’anglais et de néerlandais.
Je suis ensuite arrivé à Barcelone pour travailler à un projet social pendant 6 mois et j’ai commencé à donner des cours de français un peu par hasard, je me suis rendu compte que j’avais beaucoup plus de plaisir à enseigner ma langue maternelle que l’anglais et le néerlandais même si ce sont des langues que j’aime beaucoup.
J’ai suivi plusieurs formations spécifiques à la didactique du FLE et je me suis aussi formé pour pouvoir utiliser la méthode verbo-tonale pour la correction phonétique. À chaque fois que c’est possible, je participe à des formations ou à des échanges d’expérience. Il y a plusieurs choses qui me plaisent beaucoup dans mon travail: apprendre, aider à apprendre et pouvoir innover constamment,…
Il y a trois ans, j’ai eu la chance de pouvoir participer à une formation sur la carte donnée par Marion, la découverte de ce nouvel outil a changé ma manière d’enseigner ou m’a en tous cas permis d’être beaucoup plus innovant. Après ça, Marion et moi, avons commencé à collaborer et à utiliser les cartes pour les cours de FLE. Au début, nous voulions faire une grammaire mais nous nous sommes très vite rendus compte que la carte pouvait être utilisée pour bien d’autres choses et qu’elle donnait une valeur ajoutée à nos cours.
Marion :
Une carte heuristique c’est un outil de visualisation, d’organisation et de gestion de l’information. « «Heuristique » c’est découvrir, eurêka. On doit le qualificatif à Frédéric le Bihan, créateur de l’EFH. On dit aussi, carte mentale, traduction de Mind Map dont Tony Buzan est le modélisateur.
Sa particularité ? Elle est centrée. Toute l’information est organisée autour d’un objectif ou thème principal.
Sa force ? Elle nous permet de mobiliser les fonctionnalités des deux hémisphères cérébraux et elle est respectueuse du fonctionnement naturel de l’être humain. C’est en cela qu’elle permet d’être plus efficace. On redécouvre notre potentiel en accédant à toutes nos ressources.
Utiliser la carte heuristique rend les choses plus facile, fluide, j’ose même dire ludique…tout en étant plus performant. C’est un outil « couteau suisse », il peut être utilisé par des professeurs, des ingénieurs comme par des enfants, en fonction des besoins de chacun et quelles que soient nos préférences ou notre profil pédagogique.
En FLE, il est aussi utile au professeur qu’à l’élève, et bénéfique pour l’apprentissage en lui-même.
Thomas :
Il y a des livres entiers consacrés à la question. La carte, on peut l’utiliser pour tout, même pour faire sa liste de courses.
Pour résumer, je dirais que la carte est un outil qui permet de structurer les informations, d’établir et de voir toutes les relations qu’il y a entre celles-ci.
Elle stimule la créativité et l’association libre.
Par défaut on la réalise sur un format horizontal, ce qui permet d’utiliser tout notre champ de vision. Ce micro-changement de perspective (lire les infos et les organiser sur une feuille horizontale plutôt que verticale) consiste pour moi une vraie révolution!
J’utilise les cartes parce qu’elles me permettent de mieux structurer les informations, et de les intérioriser. Par conséquent, mes cours sont mieux préparés, je m’adapte plus facilement aux besoins des apprenants. Je communique clairement, je suis plus efficace et plus créatif.
Quand on fait une carte, on utilise la couleur et les mots, la logique et l’intuition, on dessine et on hiérarchise…
On peut faire des cartes pour beaucoup de choses: pour découvrir ou réactiver un point de grammaire ou organiser du vocabulaire, pour présenter des objectifs, pour que les apprenants voient où ils en sont, pour qu’ils comprennent, s’approprient et mémorisent plus facilement, pour co-construire le savoir avec eux. Pour le plaisir, tout simplement.
Nos cartes ne contiennent pas l’objectif pédagogique, elles sont à son service. L’objectif pédagogique se trouve dans les cartes de préparation de cours.
L’objectif de nos cartes est plutôt d’ordre thématique. On développe un sujet qui se trouve au centre.
On préconise toujours de reconstruire les cartes soi-même ou avec le groupe, et en les adaptant aux besoins. C’est beaucoup plus utile que de les utiliser telles quelles.
Mémoriser la conjugaison des verbes du 3ème groupe avec une carte :
Il y a de nombreuses façons d’utiliser cette carte pour (re)voir le troisième groupe, par exemple:
1-Découvrir la carte
-explorer le contenu en mettant l’accent sur la structure.
-sensibiliser à la “musique” des verbes.
-associer la gestuelle à la prononciation des verbes.
2-Reconstruire la carte
– à partir de la structure de base sur papier.
– à partir des groupes de verbes sur une table ou au tableau.
– en la racontant (voix haute, voix basse).
– refaire la carte entièrement.
3-Carte à trous sans liste de verbes
-classer, ordonner les verbes pour reformer les groupes
pour identifier les verbes qui se conjuguent de la même manière.
4-Carte à trous avec liste de verbes
-remplir la carte après l’avoir observée, répétée, réecrite (selon vos préférences).
-vérifier ce que l’on sait et travailler là où il y a des trous et en s’adaptant aux besoins de l’élève.
5-Carte complète: terrain de jeu
-jouer à conjuguer les verbes à la forme affirmative, puis négative et interrogative.
-former les binômes. Les 2 joueurs se lancent tour à tour des défis (à l’aide d’un dé)
“conjugue-moi le verbe prendre à la deuxième personne” (2 sur le dé).
Formation de la négation :
Nos cartes comportent aussi certains « codes » venant du cours lui-même. Par exemple, on se plaît à évoquer la négation à travers l’image du sandwich, et les relations amoureuses qu’elle entretient avec les pronoms… 🙂
Vocabulaire: les significations du verbe rendre :
Voici quelques conseils et suggestions sur la façon d’utiliser cette carte
– écrire le mot « rendre » au tableau et il constituera le cœur de la carte.
– demander aux étudiants de donner des exemples de phrases avec rendre ou d’expliquer les différentes significations qu’ils connaissent
– si leurs propositions correspondent aux significations qui se trouvent sur la carte, les écrire au tableau au même endroit que sur la carte afin qu’on puisse ensuite comparer facilement le tableau et la carte.
– pour les significations qui n’ont pas été évoquées par les étudiants, écrire les exemples et essayer de leur en faire déduire la signification.
Carte de bord : Où je suis, où je vais
Il est rassurant pour les élèves de voir où ils en sont, de constater leur progression, le chemin qu’il reste à parcourir, de revoir un point de grammaire sans avoir la sensation de revenir en arrière.
Cette carte les invite également à se responsabiliser de leur apprentissage et sert de tableau de bord au professeur.
Marion :
Je pense qu’il est important de savoir faire des cartes manuelles avant de passer au logiciel, surtout au début quand on cherche à s’approprier l’outil.
Ceci étant dit, les deux comportent des avantages.
Pour la carte manuelle ce qui est frappant c’est la facilité de mise en œuvre (une feuille de papier, un crayon). Elle est souvent plus spontanée, il n’y a pas d’outil entre le cerveau et la main, l’expression est plus libre et directe, ce qui nous permet d’accéder plus facilement à nos ressources. Et puis je valorise beaucoup les choses faites à la main, elles me rendent plus vivante.
Avec les logiciels, on peut faire des modifications facilement, la gestion de l’espace est automatisée. Il est facile de reconfigurer la carte. Dans les institutions, les cartes numériques « passent mieux », elles apparaissent plus rassurantes. Il est vrai qu’en fonction du contexte dans lequel on travail, ce n’est pas négligeable.
D’autre part, elle est très utilisée pour communiquer des informations, faire un travail en groupe et en garder une trace. Je l’utilise pour des cours à distance en partage d’écran pour organiser et construire les savoirs avec l’élève. Enfin il existe des logiciels qui permettent de réaliser des cartes collaboratives à distance, ce qui peut être intéressant d’un point de vue pédagogique.
En fait les cartes manuelles et numériques ne s’excluent pas, elles se complètent. Personnellement j’utilise les deux en fonction de la tâche à réaliser et du contexte. Mais dans tous les cas il faut que l’outil soit à notre service et au service de la pédagogie, et non l’inverse.
Thomas :
Je préconise le papier surtout quand on commence, la carte n’est pas un “produit fini” ni une fin en soi, c’est un ensemble d’éléments organiques en mouvement constant (un peu comme les neurones), faire une carte, c’est s’inscrire avant tout dans une démarche d’expérimentation constante, d’observation, d’apprentissage et de réajustement. Le fait de faire les cartes à la main permet, à mon avis, d’intérioriser beaucoup mieux cette démarche ainsi que les informations qu’on cherche à mémoriser, structurer, transmettre.
Une fois qu’une carte est très claire ou plutôt une fois qu’on sait vraiment ce qu’on veut y mettre, on peut évidemment utiliser le numérique mais je pense que c’est une démarche un peu différente. Elle peut sembler plus efficace car on peut facilement opérer des changements, mais on risque de perdre de vue l’évolution de la carte et la façon dont nous avons évolué avec elle.
Vous pouvez visiter le site de l’Ecole française de l’heuristique, ainsi que son blog Mapping-experts sur lequel se trouve un grand nombre d’articles publiés par des praticiens de la carte.
Participer à la formation « Organisez vos idées avec la carte heuristique »
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