Bonjour à tous ! Connaissez-vous le Hashtag ? (Aussi appelé "mot-dièse" dans la langue de…
Le roman oral collectif, c’est un atelier d’écriture où on n’écrit pas : les élèves parlent et dictent. L’enseignant écoute et écrit.
Entretien avec Pascal Biras.
Bonjour. Je suis prof de FLE depuis plus de 10 ans, j’ai enseigné dans plusieurs pays dans différentes institutions, en Turquie et en Hongrie, et je travaille actuellement en Espagne, à Barcelone. J’enseigne, je conçois du matériel, j’écris des manuels, j’anime des ateliers créatifs, et je m’occupe de formations de professeurs sur comment guider, planifier, animer et adapter le Roman Oral Collectif en classe de langue.
Le Roman Oral Collectif, c’est un protocole de classe créé pour libérer la parole en cours de langue. C’est une espèce d’hybride entre l’atelier d’écriture et l’improvisation théâtrale. L’idée est d’impliquer les apprenants dans une création littéraire collective et orale. Ça peut sembler paradoxal parce que le ROC est en fait un atelier d’écriture où on n’écrit pas : les élèves parlent et dictent. L’enseignant écoute et écrit. C’est un scribe silencieux au service d’élèves orateurs. Alors bien sûr, il est responsable du projet, il garde le cap, et il doit dire à ses élèves ce qu’il est possible de créer et ce qui ne l’est pas en fonction du temps et du niveau, mais il doit aussi se laisser surprendre par les envies de ses élèves, parce que parfois ils proposent des trucs géniaux. C’est d’ailleurs aussi ça qui est stimulant pour le prof, on s’ennuie jamais avec le roman oral collectif. Préparer la séance qui suit en fonction de ce que tes élèves t’ont proposé dans la séance précédente, ça rompt la monotonie ! Blague à part, la préparation est importante, car chaque séance est guidée par des documents déclencheurs, des contraintes, du lexique imposé, des objectifs communicatifs à travailler etc. On est animateur, mais on reste prof de langue.
Si on remonte aux origines, le ROC est né comme réponse à certaines interrogations que j’avais sur des cours d’expression orale avec des élèves captifs : Parler en français ? Ok, mais pour dire quoi ? Pour faire quoi ? Parler à qui ? De quoi ? Qu’est-ce qu’on va se dire d’intéressant qui ne soit pas forcé, et au final un peu faux, et peu motivant ? Mon but était de donner du sens à la parole en langue étrangère, de la motiver à travers le recours à l’imagination et à la fiction. Ça me semblait un levier pertinent, surtout avec des ados. Pou moi, la création en langue étrangère, surtout dans un projet de roman à long terme (une année scolaire pour les projets que j’ai menés) est une expérience pédagogique, et j’allais dire humaine, qui permet de nouer avec la langue étudiée et pratiquée, un rapport intime, chargé d’affect. Parce que créer, c’est aussi convoquer, sous le masque de la fiction, des préoccupations inconscientes qui nous sont chères. Du coup, on peu dire que le ROC se base sur une didactique de l’envie narrative, autant que sur celle du besoin linguistique. On est sujet plus qu’apprenant. Et puis, le format collectif permet à chacun d’apporter sa pierre à l’édifice, et de fédérer un groupe autour d’un projet commun où la langue n’est plus une banale matière scolaire, mais le média par lequel on entre en communication avec un lecteur, au-delà de « l’ici et maintenant »de la salle de classe. C’est aussi une espèce de laboratoire où on travaille le vivre ensemble et la médiation, la négociation, où on frotte sa cervelle à celle d’autrui comme disait l’autre… Enfin, ce qui est intéressant, c’est que les rôles habituels du prof et des élèves sont redistribués, dans le sens où le prof est au service du projet des élèves, il fait partie du collectif, sur un pied d’égalité.
Si tu entres dans une salle de classe pendant une séance de ROC, tu verras une dizaine d’ados assis en cercle autour d’un adulte devant un ordinateur. Tu entendras des voix d’élèves et le cliquetis d’un clavier. Concrètement, dans les séances, pour créer l’histoire, chaque élève prend la parole « en tant que », il interprète un personnage le temps d’une intervention, d’un témoignage. Chacun peut poursuivre le discours d’un camarade, l’enrichir, ou bien changer de personnage-narrateur pour donner un autre point de vue sur les événements, ou faire avancer l’histoire. Le prof-scribe transcrit tout ce qui se dit, mais à une condition : que ce soit correctement formulé, compréhensible. Le prof invite toujours les élèves à se corriger mutuellement. Il peut bien sûr étayer en donnant du vocabulaire, en aidant à la formulation d’une phrase complexe, mais toute nouveauté doit être répétée par les jeunes auteurs, car le scribe ne peut écrire que ce qu’il a entendu, c’est la règle ! Au final, on a un fichier texte qui est une mosaïque de fragments de discours, un peu comme un reportage, et ça raconte une histoire.
La première, c’est le refus du projet. Ça peut arriver. Dans ce cas, c’est même pas la peine d’essayer. Mais en général, les élèves sont partants, ils ont envie de voir ce que ça donne, et se prennent au jeu. Après, comme tout projet collectif, il faut gérer les personnalités : du plus fanfaron au plus timide, le tout est de bien doser les forces en présence. L’avantage de la création collective, c’est que les élèves collaborent, et que, par exemple, celui qui n’aime pas parler mais est très rigoureux en grammaire agit en soutien de celui qui se lance sans trop respecter les conjugaisons. L’autre difficulté, c’est le temps, bien sûr, car on est limité par l’emploi du temps. Là, le format « fragments de discours » du ROC nous donne une grande flexibilité, dans le sens où on peut diviser le groupe en petits groupes, planifier différemment un chapitre, et recourir à l’écrit lorsque c’est nécessaire. Il m’est arrivé de dédier des séances de ROC à des créations écrites, non seulement pour « avancer » plus vite, mais aussi pour donner aux apprenants qui sont plus à l’aise à l’écrit, l’occasion de produire des paragraphes entiers sans que l’oral soit un obstacle. J’ai même parfois donné des fragments de discours à écrire à la maison. Tout est question d’adaptabilité, comme dans n’importe quel cours en fait. J’ai même vu des élèves se réunir en dehors des cours pour finir le chapitre de la semaine !
J’ai eu beaucoup de chance parce qu’entre 2012 et 2016, avec mes élèves au lycée AKG de Budapest où le ROC est né, j’avais le soutien de l’institution, qui trouvait le projet super, et nous a aidés à publier les romans. Ça implique la recherche d’un imprimeur, de collègues bienveillants pour chasser les fautes de frappe, de personnes pour faire une couverture etc, et puis des partenaires pour financer tout ça. L’Institut Français de Budapest et la Fondation Franco-hongroise pour la Jeunesse nous ont soutenus. Du coup, ça nous a permis de diffuser les romans bien au-delà des murs du lycée. Et puis, comme à l’époque je travaillais aussi à l’université de traduction, certains romans ont même été traduits en hongrois par des étudiants à moi. On a donc pu les publier dans une version bilingue, ce qui était une petite surprise, un cadeau fait à mes élèves qui redécouvraient leur histoire française dans leur langue maternelle. Tu imagines à quel point ils étaient fiers !
On peut me suivre sur Twitter, Pascal@ROCetFLE, ou me contacter sur Linkedin. Il y a en ligne quelques articles sur le ROC :
http://tenseignes-tu.com/mes-cours-mes-projets/biographie-orale-fle/
https://www.inventoire.com/roc-lecriture-creative-selon-pascal-biras/
https://www.akg.hu/2014_beszeloregeny-sikersztorik/